Le danger et l'effet de surprise
- Canadou
- 20 août 2021
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 avr. 2022
La mise en place d'une intrigue et le dénouement de cette intrigue...
Je me rappelle du premier poème qui m'a marqué. J'étais à l'école primaire, j'avais déjà appris les fables de La Fontaine par cœur sans pour autant les avoir retenus. Mais un poème a marqué particulièrement mon esprit : "C'est un trou de verdure où chante une rivière. Accrochant follement aux herbes de haillons..."

"Le Dormeur du Val", sonnet en alexandrin créé par le jeune Arthur en 1870, a été simplement traumatisant pour l'enfant que j'étais. Lisant le début et tout le poème, je m'imaginais la scène : Un coin de nature verdoyant où les oiseaux chantent.
Les termes "un enfant malade", "pâle" ou encore "froid" me paraissaient bizarres mais sans comprendre l'impact qu'ils avaient et sans que ça ne salisse la belle petite scène que je voyais jusqu'au dernier vers "Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit." Là, c'était le choc et la révélation. C'est en l'étudiant que j'ai compris l'intérêt des adjectifs. Et plus sérieusement c'est en grandissant que j'ai remarqué que la fin était prévisible depuis le début. C'était un choc autant du côté artistique que psychologique. J'ai appris qu'une oeuvre pouvait nous surprendre avec le danger sans que nous, spectateur, puissions le voir mais seulement le pressentir. Et psychologiquement, ça m'a fait remettre en question sur tous les imprévus qui peuvent arriver dans une vie, tous les dangers possibles et la peur qu'elle génère. C'est en imaginant le pire, en essayant de supposer un potentiel danger, qu'on a peur. Et pourtant je me suis laissé avoir par un simple poème. Je n'ai pas du tout imaginé le pire avant de connaître la réalité.
La mort de la mère de Bambie est tout aussi marquante pour la même raison que toute la mise en scène nous fait penser au pire. Bien qu'on ait senti le danger arriver, le coup de feu et le silence mettent fin à nos peurs pour laisser place à la tristesse. Ce qui fait que le danger était encore plus grand dans cette scène, c'est que, malgré l'évidence de la présence de ce dernier, on ne le voyait pas. Et c'est ce qui pousse nos craintes encore plus loin : sentir un danger arrivé est une chose mais faudrait-il pouvoir le voir arriver.

Sensation que je déteste. C'est une angoisse de ne pas savoir et de ne rien voir comme c'est une angoisse d'attendre le pire et l'inévitable. Les films d'horreur et les thrillers jouent avec ça. Et je n'aime pas les films d'horreur. Je ne peux pas détailler plus sur les films d'horreur. J'en ai vu qu'un et il me sera suffisant pour le reste de ma vie. "Paranormal Activity" : Bon, il est médiocre comme film mais il joue quand même avec l'attente du danger.
Lorsqu'une énième nuit commence, les deux protagonistes dorment. Connaissant déjà les choses étranges qui se déroulent la nuit, on s'attend à que ce soit pareil voire pire cette nuit-là. Alors que la caméra tourne, on est dans l'attente du danger. Jusqu'à qu'il arrive et que l'adrénaline de notre corps nous donne des effets secondaires. On a senti le danger arriver, sans le voir, et quand ce "danger" a frappé, il nous surprend toujours. Enfin, surprendre est un joli verbe mais j'entends par là qu'il fait l'effet escompté, on va dire.

Il en va de même autrement. On peut attendre le danger pour rien. Je ne connais pas les films d'horreur mais je suis sûre qu'il y en a un qui comprend des scènes angoissantes et pourtant rien arrive. Et inversement, pour les screamers notamment, on a une scène qui ne laisse paraître aucun danger, dont on ne s'attend pas à avoir un danger, et en fait il est bien présent. Ça, c'est une surprise qui fonctionne bien. Que ce soit pour les films d'horreur ou pour tout autre genre d'ailleurs. On peut prendre une comédie romantique par exemple : C'est Lea, elle était banale mais à présent elle sort avec le sportif du bahut, Max. Tout se passe bien parce qu'on est à la deuxième partie du film et qu'on sait très bien que Rebecca, la blonde ultra-jalouse, va s'en prendre à Lea et foutre le bordel dans sa relation. On s'y attend parce que les codes de ses films font qu'on s'y attend. Mais admettons la scène suivante : Max vient de gagner un match et il en profite pour faire venir Lea au milieu du terrain et l'embrasser devant tout le monde pour officialiser leur relation. C'est beau, c'est magique, tout le monde est content, tout le monde est heureux, tout le monde est BEAU. Bref on ne s'attend pas à que Rebecca allume le grand écran géant que tout lycée qui se respecte à sur son terrain de foot pour y publier des images compromettantes de Lea. On n'a pas senti le danger arriver, on ne l'a pas vu arriver et pourtant il est bel et bien là : c'était un film de m*rde... Il est vrai que j'ai pris un mauvais exemple et c'était volontaire. On s'attend tous que Rebecca fasse une couille à la deuxième partie du film. Ce n'est plus une surprise, plus un danger et encore moins une peur. C'est ce qui rend ce genre de comédie romantique un peu... Heeee... Mal notée ?

J'ai parlé des films, des poèmes. Mais dans les romans ? He ben c'est pareil.
L'intérêt d'écrire une histoire est de savoir ce qui va se passer sans que le lecteur puisse y soupçonner quoi que ce soit tout en y laissant des indices. C'est très complexe, il n'y a pas de doute. Je trouve, assez personnellement, qu'une histoire est une bonne histoire quand, arrivée à la fin de celle-ci je me dis, "oh mais en fait j'aurais pu le savoir depuis le début". C'est l'effet de surprise PAR-FAIT.
Parce qu'un autre effet de surprise serait de ne laisser aucune trace, aucun indice de ce qui va arriver et sortir la surprise en claquant des doigts. Je n'aime pas ça. Malheureusement trop présent un peu partout. C'est ce que Rimbaud n'a pas fait avec son poème. Les indices étaient présents et déstabilisants rendant l'effet de surprise encore plus émouvant.
En musique, l'effet de surprise est plus compliqué alors on s'aide des paroles.
Florent Pagny chante "le soldat", un texte qui s'empire couplet après couplet tout en restant dans la scène de la guerre. Le spectateur s'attend à cette scène crue qu'est la guerre mais il ne s'attend pas à que le dernier couplet n'ait aucun rapport avec la guerre :
"Ma très chère Augustine, j'aimerais te confier Nos plus beaux souvenirs et nos enfants rêvés Je crois pouvoir le dire nous nous sommes aimés Je t'aime une dernière fois"
Ce couplet est rempli uniquement du sentiment amoureux du soldat. Et le dernier vers "je t'aime une dernière fois" fait l'effet des deux trous rouges sur le côté droit. C'est peut-être même pire que les trous rouges : Ces trous sont évidents, le soldat est mort, on le sait. Alors que le texte de Florent Pagny continue de suggérer encore. On peut être dans le déni et ne pas y croire ou être réaliste et se dire que le danger a frappé.
Finalement, tout ceci pour expliquer pourquoi je n'aime pas les films d'horreur et les thrillers. Mais surtout pour montrer ce qu'est un effet de surprise et comment on peut mentionner un danger dans une oeuvre. Bien évidemment, je ne suis ni une artiste ni une connaisseuse professionnelle. Il ne s'agit de là que de mon avis personnel sur ce que je trouve être l'intérêt principal d'une œuvre. Quand on veut écrire un livre ou faire un film, il faut se mettre à la place du spectateur, supposer l'intrigue sans la dévoiler... Sacre-bleu, je ne sais même pas comment faire ça !
Je suis sûr que tu aurais pu écrire encore plusieurs lignes sur ce sujet.